Paul Blume – Teff

Les cinquièmes colonnes

« La cinquième colonne est une expression qui désigne les partisans cachés au sein d’un État ou d’une organisation d’un autre État ou d’une autre organisation hostile. ».


A la lecture de la page wikipedia consacrée à l’expression, on comprend que celle-ci puisse être considérée péjorativement.

Enlevons les aspects émotionnels, péjoratifs et historiques de la genèse de l’expression, et tentons de la décliner en ne retenant que l’idée de l’existence chez un belligérant de soutiens externes organisés.

A l’examen des contextes économiques, politiques, historiques d’une situation étudiée, on ajoute alors des éléments de complexité. Les rôles de fractions plus ou moins importantes s’opposant à une dynamique collective voulue ou subie. Internes et/ou externes.

Au concept de résistances endogènes à une pensée dominante on ajoute celui de résistances directement liées à des intérêts externes.

Ce qui permet à la fois de mieux différencier et qualifier les forces en œuvre dans un conflit. Et permet d’abandonner une lecture souvent simplifiée à l’extrême pour une acceptation de la complexité du réel.

Plusieurs formes de résistances peuvent cohabiter autour d’objectifs communs tout en continuant d’œuvrer à leurs intérêts propres.

Garder à l’esprit ce qui est différent voir contradictoire entre les courants composants une réaction commune permet de faire apparaître des ancrages idéologiques très contradictoires.

La diversité des mouvements de résistances pendant la deuxième guerre mondiale en Europe occidentale, par exemple, reflétait les antagonismes d’avant-guerre et préfigurait ceux d’après celle-ci.

D’une certaine façon, l’objectif commun de libération des territoires nationaux par des résistances à l’envahisseur s’éteint à la libération. Les composantes structurées reprenant le cours de leurs histoires propres.

Et revoici l’expression de cinquième colonne qui sera collée aux mouvements jugés pro-soviétiques dans le cadre de la guerre froide d’un coté et aux opposants aux formes dictatoriales du pouvoir centralisé en URSS de l’autre.

Cette qualification de cinquième colonne est également régulièrement collée à des forces sociales endogènes en vue de les discréditer.

On peut citer l’exemple de la difficulté que certaines organisations syndicales ont eu pour différencier leur combat pour de meilleures répartitions des fruits de la croissance de celui d’organisations réellement acquises à la cause du socialisme dit réalisé.

Ou celui des opposants aux formes dictatoriales de pouvoirs fortement centralisés, par ailleurs favorable au projet social de leur société, confondus avec des courants favorables à l’économie libérale.

Des forces de résistances endogènes peuvent donc devenir rapidement des cinquièmes colonnes dans la rhétorique de leur détracteurs.

C’est également le cas dans le cadre de la guerre que mène la Russie en Ukraine.

Celles et ceux qui tentent de s’opposer au pouvoir de Poutine ou d’infléchir sa politique constituent des cibles privilégiées. Amalgamées sous un même chapeau de traîtres à la nation.

Or cette prétendue cinquième colonne de la démocratie occidentale est fortement hétéroclite. Entre oligarques récalcitrant aux contraintes économiques qui leur sont imposées et les artistes, scientifiques, intellectuels qui fuient la Russie actuellement, il y a plus qu’un monde de différence.

D’une certaine façon, les mouvements plus ou moins forcés de populations russophones initiées au siècle passé, aurait pu induire de réelles potentielles cinquièmes colonnes culturelles dans les territoires impactés.

Parmi ces populations, à l’étonnement semble-t-il de l’état major russe, des résistances se retournent non pas contre la mère patrie de leurs aïeux, mais bien contre les agresseurs d’un mode vie qu’ils souhaitaient conserver.

A l’inverse, deux républiques autoproclamées indiquent des évolutions plus conformes au scénario attendu.

Complexité, donc.

Et complexité dans les positionnements citoyens face à ce conflit.

Aujourd’hui, affirmer son exigence d’un monde sans arme, d’une Paix universelle comme objectif commun pour l’humanité est une chose.

Prendre le risque d’essayer d’organiser une pression populaire pour contrer l’armement de la résistance ukrainienne à l’invasion Russe en est une autre.

Même si soutenir les livraisons d’armes implique de fait une forme de soutien aux lobbys industriels d’armement et à la promotion d’une forme libérale de démocratie.

On en arrive donc à faire le choix de « sa moins mauvaise » cinquième colonne.

D’un coté, une démocratie incomplète, imparfaite, inéquitable, affairiste, aux tendances liberticides toujours en embuscade.

De l’autre une autocratie quasi dictatoriale, violente, gangrenée par des intérêts mafieux, rejetant toute tentative d’expression contradictoire, jetant ses opposants toutes tendances confondues en prison, voir pratiquant l’assassinat.

Et, au milieu, des citoyennes et des citoyens d’Ukraine qui voient leurs vies partir littéralement en fumée.

Choisir la solidarité avec la résistance ukrainienne, c’est renoncé à la perfection, à l’utopie d’une Paix universelle.

Faire le choix inverse, ou ne pas faire de choix, c’est l’obligation d’assumer une forme de complicité avec la politique de Poutine.

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